MERCREDI DES CENDRES, MOZART, ALLEGRI ET LE DROIT D’AUTEUR…

Le mercredi des cendres marque l’entrée en Carême pour les Catholiques. Le Carême est cette période de 40 jours qui prépare la montée vers la fête de Pâques. Le mercredi des cendres est donc le premier jour de cette période particulière. Au cours des célébrations de ce mercredi, le prêtre marque le front des fidèles de cendres en disant : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ». La cendre symbolise alors la fragilité de l’homme, mais aussi l’espérance en la miséricorde de Dieu. Parmi les lectures de cette célébration, figure le psaume 50 (51), appelé également Miserere (prends pitié) selon le premier mot de sa version latine.

 

Ce psaume a été mis en musique au XVIIème siècle, vers 1630, par un dénommé Grégorio Allegri, compositeur de génie. L’œuvre était chantée a cappela, en faux bourdon, procédé d’improvisation consistant en l’adjonction de deux voix parallèles à une mélodie préexistante. Le Miserere était chanté exclusivement à la Chapelle Sixtine, le mercredi des cendres et lors de la semaine sainte (semaine juste avant le dimanche de Pâques). Les chantres de la chapelle improvisaient toutes sortes d’ornementations, dans des tons très aigus et le chantaient à la fin de l’Office des Ténèbres, alors que les cierges qui éclairaient la chapelle étaient progressivement éteints, ce qui devait être impressionnant.

 

Malheureusement, au fur et à mesure des années, les chantres perdirent cette capacité d’improvisation et le Miserere ne fut plus chanté que dans une version figée en quelque sorte. Seuls les ornements les plus aigus réservés aux castrats, appris par cœur par deux sopranos, nous sont parvenus. L’œuvre n’en reste pas moins extraordinaire.

 

Dès les premières années, le Vatican avait interdit de le reproduire ou de le diffuser afin d’en préserver le caractère unique.

C’était sans compter sur le génie de Mozart. Ce dernier, à l’âge de 14 ans, au cours d’une tournée qu’il fit avec son père Léopold, passa à Rome où il eut la chance de pouvoir écouter le Miserere le mercredi de la Semaine sainte. Le soir même, il retranscrivait le morceau de mémoire. Il l’écouta encore une fois le vendredi qui suivit pour pouvoir faire quelques modifications. Le Miserere obtenu fut publié en 1771 à Londres et l’interdiction papale levée. Mais cette version n’incluait pas l’ornementation baroque qui faisait une partie du succès et de la beauté du chant.

 

Mozart fut accusé d’avoir volé la partition car il paraissait impossible qu’un enfant de quatorze ans pût, en aussi peu d’écoutes, retranscrire la partition.

 

Cette accusation ne pouvait tenir puisqu’il ne l’avait pas volée. Mais aurait-on pu lui reprocher d’avoir violé des droits d’auteur en retranscrivant une partition sans l’autorisation de son auteur ou de ses héritiers ?

 

A l’époque, la propriété intellectuelle n’existait pas en tant que telle. Mais l’on peut s’amuser à résoudre ce petit cas pratique, fort simple, à la lumière de notre droit actuel, français.

 

Pour certains, avec les règles de propriété intellectuelle actuellement en vigueur, Mozart aurait été arrêté pour « copie illicite » et « diffusion sans autorisation d’une œuvre de l’esprit ».

 

Qu’en est-il réellement ? Mozart aurait-il enfreint la loi relative au droit d’auteur ?

L’auteur est titulaire des droits sur son œuvre du seul fait de sa création (article L111-1 du CPI). Les droits patrimoniaux sur une œuvre ont une durée de 70 ans après la mort de l’auteur (article L123-1 du CPI).

 

En l’espèce, Grégorio Allegri était mort en 1652. Mozart a transcrit la partition en 1769. Par conséquent, il n’y a pas d’atteinte au droit d’auteur, l’œuvre étant tombée dans le domaine public. Il pouvait tout à fait en effectuer une copie et la diffuser.

 

Mais prenons une autre hypothèse : l’œuvre commandée par le Pape aurait pu être la propriété de ce dernier. En effet, commandant l’œuvre à un compositeur employé par lui, Allegri, le Pape aurait prévu une cession des droits patrimoniaux de l’auteur sur son œuvre à son profit (ou à celui du Vatican) afin de maîtriser le choix de la reproduction et de la représentation.

 

Mozart en copiant l’œuvre aurait-il dans ce cas porté atteinte aux droits détenus par le Vatican ?

 

Là encore, la réponse est négative.

 

La durée du droit d’auteur est toujours identique, même si les droits ont été cédés à un tiers et que ce tiers est toujours vivant. C’est la vie de l’auteur et les 70 ans après sa mort qui comptent.

 

S’il avait « photocopié » telle quelle la partition réalisée par le Vatican (ce qui à l’époque était impossible) et la diffuser ainsi, il aurait pu avoir quelques inquiétudes.

 

Mais écrivant et diffusant la partition qu’il a lui-même copiée, il n’y aurait pas eu de difficulté.

 

Par conséquent, même avec les règles de propriété intellectuelle en vigueur, Mozart n’aurait porté atteinte à aucun droit. Et le Vatican, pour conserver l’exclusivité de l’œuvre, n’avait d’autre solution que de tenter de garder secrète la partition, qui contient 9 voix et était donc difficile à écrire d’oreille, ce qui était sans compter le génie de certains musiciens…

 

Mais comme mieux vaut écouter qu’en parler, voici la meilleure version du Miserere que je connaisse, version réalisée par l’ensemble A Sei Voci : chantée dans une version baroque (première plage de l’album), tentant de se rapprocher de ce qui devait être chanté à l’origine, puis dans une version moins ornementée (dernière plage).

 

Paroles en Français du Miserere :

(Pas de risque de contrefaçon, les paroles du psaume ont été écrites par le roi David et figurent donc dans la Bible. Je pense qu’on est bons au niveau des délais!..) :

 

Pitié, Seigneur, car nous avons péché !

(cf. 50, 3)

 

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,

selon ta grande miséricorde, efface mon péché.

Lave- moi tout entier de ma faute,

purifie-moi de mon offense.

 

 

Oui, je connais mon péché,

ma faute est toujours devant moi.

Contre toi, et toi seul, j’ai péché,

ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

 

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,

renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.

Ne me chasse pas loin de ta face,

ne me reprends pas ton esprit saint.

 

Rends- moi la joie d’être sauvé ;

que l’esprit généreux me soutienne.

Seigneur, ouvre mes lèvres,

et ma bouche annoncera ta louange.

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