Quand les nouvelles technologies font irruption en correctionnelle

     Récemment, je plaidais dans une affaire de télécommunications. Mon client, qui n’est pas véritablement un habitué des tribunaux, était poursuivi sur le fondement de l’article 323-1 du code pénal : accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données.

      Relaxé en première instance, le Parquet ayant interjeté appel, nous voici devant la Cour d’appel. D’un strict point de vue juridique, la relaxe me semble acquise car les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis en l’espèce : pas d’accès frauduleux, habilitation à accéder au système en question.

Mais le dossier est un peu technique : sans être un spécialiste informatique ou ingénieur des télécommunications, il faut avoir quelques notions de base.

L’audience commence. Plusieurs détenus doivent être jugés ce jour-là. Leur affaire est donc appelée en priorité. Vol en bande organisée : une jeune femme comparaît. Elle a commis pas moins de 13 vols auprès de vieilles dames âgées de 70 à 88 ans, en se faisant passer pour une inspectrice du service des eaux. Le scénario est bien rôdé : elle prétend venir vérifier les compteurs, s’introduit dans l’appartement et y dérobe des objets et bijoux de valeur, puis son comparse surgit. Prétendant être policier, il arrête la méchante voleuse, s’empare du butin bien garni et file avec son acolyte sous d’autres cieux tout aussi prolifiques…. Les honorables vieilles dames sortent traumatisées par l’aventure et n’osent plus vivre seules depuis cette fâcheuse histoire. Mais voilà que la prévenue fond en larmes : imaginez-vous, mariée très jeune, elle était battue et violée et devait obéir aux règles fixées par le clan familial. Bonne comédienne ? Ah, non, son avocat brandit le jugement de condamnation dudit mari qui écope d’une peine de 6 ans de prison pour violences conjugales et agressions sexuelles… Bien… Pas drôle… J’en tire quant à moi une leçon immédiate : cette chambre ne semble pas être une grande habituée du droit des nouvelles technologies…

Affaire suivante : vol à la tire en quelque sorte, pour un brave homme qui clame son innocence et ne fait qu’innocemment se promener… avec un arsenal de pinces et de crochets légèrement suspects pour le simple quidam flânant dans les rues…

Arrive enfin notre affaire. Exposition des faits, lectures de procès-verbaux, questions à mon client… Et là, je découvre avec stupeur que mon pressentiment se situait bien en-deçà de la réalité. La Présidente, d’un air entendu :

     – « Enfin, Monsieur, ces « forums » auxquels vous participez, ça démontre des intentions assez curieuses.

     – Euh, non Madame la Présidente, des forums c’est somme toute assez classique sur Internet. Il existe toutes sortes de forums d’entraide, dans des domaines très variés.

     – Oui, enfin, c’est ce que vous dites ! »

Je suis atterrée, la Présidente ne sait pas ce qu’est un forum de discussion et trouve ça « louche »… C’est mal parti.

Au tour de l’Avocat général :

« – A l’origine, cet article du code pénal a été prévu par le législateur pour lutter contre ceux qui font… comment dirais-je… ah, vous savez bien… ce mot…

     – Un virus Madame l’Avocat Général ?

     – Oui, c’est cela ! Un « virus » ! »

Ciel ! Dans quelques secondes vais-je devoir rectifier qu’avec un ordinateur on n’utilise pas un « mulot » mais une « souris » !!!

Une petite voix me disait bien que l’âge, disons… respectable… de certains membres de la Cour et de l’Avocat général, portait à croire que ces derniers n’étaient pas, a priori, des énormes geeks

Je sens soudain une légère moiteur perler le long de ma tempe : c’est avec eux qu’il va falloir aborder les notions de hachage (processus de cryptage de codes), de système de traitement automatisé de données, exposer des calculs de probabilité et de temps nécessaire pour décrypter un mot de passe haché avec un logiciel performant….

«

     – Je ne vous crois pas ! s’écrie l’Avocat général

   – Il n’est pas question de croire, c’est une question mathématique et les calculs vous sont exposés ! »

Bref… J’en reviens à un environnement plus familier pour la Cour : les règles légales, les clauses contractuelles. Toutefois, même la notion de logiciels libres de droits, dit Open source, ne semble pas déclencher l’étincelle espérée de compréhension dans le regard…

Pourtant, c’est en connaissant a minima ces notions que l’on peut effectuer l’analyse des textes et les appliquer aux faits. Et si le Parquet les avait maîtrisées, il n’aurait, selon moi, pas fait appel car la seule issue me semble la relaxe, à moins de « tordre » le droit et ne pas respecter le principe de base de la légalité des délits et des peines[1].

Délibéré dans un mois. Nous verrons…

Mais cette affaire est révélatrice.

Le droit est en augmentation constante et exponentielle et les différents professionnels ne peuvent plus tout maîtriser. En outre, certains domaines sont techniques et nécessitent un minimum de connaissances du secteur. Aussi, sur un sujet tel que la propriété intellectuelle ou les nouvelles technologies, il faut avoir à faire aux bons intervenants. Car il est difficile, tant pour les magistrats que pour les avocats, de pouvoir traiter en profondeur et au mieux les dossiers dans TOUS les domaines.

Pour appliquer la règle de droit, il faut la connaître, l’étudier, la décortiquer, la comprendre, la respecter… Mais il faut aussi bien appréhender les faits car comment qualifier des faits en droit lorsqu’on ne les comprend pas ?

En l’absence de connaissance et de compréhension tant des règles légales que des faits, on aboutit à des conclusions (pour les avocats) ou des jugements (pour les magistrats) qui n’utilisent pas la règle de droit mais font plutôt état du feeling ou de l’éthique personnelle de leur rédacteur. Ce peut être, certes, intéressant mais c’est la voie ouverte à l’arbitraire judiciaire, c’est le contraire même d’un Etat de droit dans lequel le pouvoir législatif adopte des règles que le pouvoir judiciaire, séparé du premier, est chargé d’appliquer.

Plus d’une fois il m’est arrivé d’avoir, pour toute argumentation adverse, une prose mêlant tout et n’importe quoi, sans la moindre rigueur et sans qu’aucune réponse ne soit apportée aux moyens de droit que je soulevais. Comment instaurer un débat constructif dans ce cas, comment permettre, en tant qu’auxiliaire de justice, que cette dernière soit mieux rendue ?

La seule solution : redevenir des juristes ; mieux former les futurs praticiens, veiller à appliquer la règle de droit. Et quand celle-ci devient trop complexe, plus difficilement maîtrisée, se faire éclairer ou renvoyer l’affaire à des praticiens compétents.

[1] Le principe de la légalité des délits et des peines est le principe selon lequel on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair (en latin, Nullum crimen, nulla pœna sine lege). Ce principe interdit au juge d’inventer une infraction ou d’en élargir le champ d’application, ce qui est une garantie contre l’arbitraire du pouvoir judiciaire.

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